Quittons le littoral et rejoignons le fleuve Maroni. Du gîte d'Angoulême il faut une quarantaine de minutes pour atteindre la ville principale de l'Ouest, St Laurent du Maroni. Pour ce début de journée nous ne faisons qu'y passer car l'objectif est de visiter St Jean et Apatou, les 2 derniers villages les plus au sud accessibles par la route.
Pont sur la Mana à Saut Sabbat !
Entrée principale de St Laurent du Maroni !
Une fois passé le panneau signalant l'entrée de St Laurent, une grande ligne droite nous conduit jusqu'au centre ville et avant d'y pénétrer on prend à gauche au premier rond point pour tout de suite prendre la route du sud parallèle au grand fleuve. il faut une trentaine de minutes pour parcourir les 25 km qui nous séparent du bourg de St Jean. La route est en bon état et il y a de nombreuses habitations tout le long du parcours. Ce bourg est un peu la banlieue de St Laurent et son statut est surtout connu pour l'existence du Régiment du service militaire adapté. Sans lui point de village.
Créé en 1961 sous le nom de régiment mixte des Antilles/Guyane, il garde depuis sa vocation première, former et insérer de jeunes guyanais en difficulté voire en échec scolaire. Par ailleurs il permet également à de jeunes diplômés de se confronter à une première expérience professionnelle. Dans cet environnement militaire, il est évident que soit transmis un ensemble de valeurs telles que la cohésion, le courage, la rigueur et le goût du travail bien fait. Aujourd'hui près de 20 métiers y sont enseignés.
Un virage à droite devant le panneau du régiment, une petite courbe sur 500 m et bientôt apparaît le village de St Jean du Maroni. Un dernier virage à gauche bitumé et la piste en latérite prend le relais au bout de 300 m. Alors allons à droite en passant le petit pont pour s'arrêter 200 m après à l'embarcadère qui autrefois accueillait les bagnes de la relégation, fin du village.
Sans régiment, pas de St Jean. Et le régiment justement est installé dans les vestiges de l'ancien bagne. Saint-Jean-du-Maroni était un des sièges du bagne de la Guyane française sous la forme d'un camp militaire. Il abritait le camp de la Relégation et ses fameux « pieds-de-biche ». Ceux-ci étaient soumis à un régime particulier qui les autorisait à effectuer toutes sortes d'activités pour eux-mêmes, une fois leurs tâches quotidiennes effectuées.
Les relégués étaient divisés en deux catégories :
- les relégués collectifs, vivant au camp qui travaillaient et devaient répondre à deux appels par jour ;
- les relégués individuels, ne faisant plus partie de la première catégorie, ils étaient en semi-liberté et pouvaient être à leur propre compte.
Je cite maintenant Albert Londres qui a tracé le portrait de ces hommes en 1923.
« Les pieds de biche ? Ce sont des voleurs. Ils ont leur ville : Saint-Jean. On les appelle aussi les pilons. Et Saint-Jean se prononce Saint-Flour. Officiellement ils ont pour nom : les relégués. Ils sont au nombre de huit mille cent soixante-sept. C’est le plus sale gibier de Guyane. Quand vous recommandez un homme pour une situation d'assigné : “Qu'est-ce que c’est ? vous demande-t-on. — Un assassin.— Très bien, nous le caserons.” Si vous dites : “C’est un Saint-Jean. — Jamais !” Chez Garnier, à Cayenne, chez Pomme-à-Pain, à Saint-Laurent, on se vante – ces gargotes se respectent – de ne pas recevoir de pieds-de-biche. Ce sont les honteux du bagne. L’auréole de la guillotine n’a pas brillé au-dessus de leur tête. Qu'est-ce c’est que ce tas de pouilleux volant trois poules par ici, cent francs dans ce tiroir, un tableau chez le marchand ? On ne peut pas fréquenter de “miteux” de cet acabit. La considération, ici, ne commence qu'au vol qualifié. »
Vue sur le Suriname juste de l'autre côté à 5 min de pirogue.
Nous quittons St Jean pour filer sur Apatou dernier village atteignable par la route, route inaugurée il y a 10 ans seulement. Avant 2 à 3 heures de pirogue étaient nécessaires pour relier les 2 bourgs. D'une longueur de 54 km, elle est tracée parallèle au fleuve mais bien sûr elle tient compte du relief et par endroit on devine clairement la difficulté d'un tel chantier et le volume de latérite qu'il a fallu arracher. La taille des engins de déforestation donne aussi une idée de la puissance requise pour faire reculer la forêt et maintenir la route libre de toutes entraves car les chûtes d'arbres sont fréquentes.
En cherchant un peu j'ai trouvé que le coût d'un kilomètre de route en Guyane est d'1 million d'euros et je peux comprendre même si cela me semble élevé. Je me suis dit comparons avec un kilomètre en métropole, et bien accrochez-vous, de 2 à 6 millions. Cherchez l'erreur !
Une cinquantaine de minutes plus tard nous atteignons le bourg et sommes tout de suite accueillis par la statut du capitaine Apatou qui a donné son nom à cette commune de Guyane. Attention, capitaine n'est pas un titre militaire mais correspond chez les Bushinenge (Noirs-marrons, les hommes de la forêt) à la fonction de chef de village. Personnage important il intervient encore aujourd'hui pour régler les conflits familiaux, les décès, la sécurité des biens, l'éducation et les cérémonies, son autorité est incontestable et indispensable.
Dans les années 1870, c'est une grande période d'exploration et la France mène des expéditions en forêt profonde pour notamment délimiter les frontières avec le Brésil et la Guyane hollandaise devenue Suriname. C'est là qu'intervient Joseph Pakisel, dit Apatou, qui servira de guide au docteur Crevaux puis à Henry Coudreau. En reconnaissance de ses services, il sera aussi fait capitaine de l'armée française et aura droit aux honneurs de l'université de la Sorbonne qui lui remettra la médaille d'or de la Société de géographie. Pour lui seul on pourrait écrire un livre.
Le blason de la commune
Ci-dessous des vues sur le fleuve Maroni et ses va et vient de pirogues qui restent l'unique moyen pour le transit de marchandises entre la France et le Suriname. A cette période de l'année, le fleuve est à mi-hauteur et la partie horizontale du ponton se retrouve à plus de 6 mètres de haut du sable en saison sèche.
Nous allons faire maintenant le tour du village qui nous prend environ 20 minutes. C'est l'occasion de découvrir les fameuses peintures de l'art Tembé, typique de la culture noirs-marrons. Cet art géométrique est produit par deux outils, la règle et le compas. Lignes droites et cercles parfaits s'entremêlent pour former des entrelacs et des polygones qui vont orner des objets comme des cuillères, des peignes mais aussi les portes des cases et enfin des textiles.
Passage devant l'église !
Vers le haut du bourg, on tombe sur la statut du docteur Crevaux qui domine de toute sa hauteur le village et le fleuve. Surnommé l'explorateur aux pieds nus, il est né en Lorraine en 1847 et à priori rien ne prédisposait ce médecin de marine à devenir explorateur.
Extrait d'une biographie
"Une escale en Guyane suffira à lui donner la passion de l’exploration. Désormais il ne rêve que d’aventures et de découvrir l’Amazonie et les Indiens de la forêt.
Bien qu’admiratif et impressionné par les récits des explorations précédentes, il ne conçoit pas l’exploration comme une mission militaire. Pas de grands moyens, pas de mission de conquête avec une équipe nombreuse de spécialistes. Le matériel emporté doit rester modeste « deux chemises, un hamac, une moustiquaire, des vivres pour quelques jours et quelques instruments de mesure » (Chantal Edel, Jean Pierre Sicre, in Crevaux, 1987, p. 26). Sa méthode consiste à remonter les fleuves. C’est, d’ailleurs encore aujourd’hui, le seul moyen pratique de pénétrer au cœur de la forêt. Et s’il veut rencontrer les Indiens, beaucoup de tribus vivent à proximité des rives d’un fleuve ou d’une « crique » (nom donné à la rivière qui serait un affluent du fleuve principal). Son but est donc de se fondre discrètement dans les villages traversés et, par la confiance qu’il inspire, de pouvoir observer les coutumes, les fêtes, les rituels religieux et profanes. Autre particularité, originale, voire difficile à croire pour qui connait la Guyane, il choisit aussi de marcher sans chaussures, ce qui lui vaudra d’être surnommé « l’explorateur aux pieds nus »"
Nous rejoignons notre véhicule garé près du fleuve et prenons le chemin du retour en passant par le chemin des écoliers pendant 5 kilomètres, histoire de trouver le village de la nièce du capitaine Apatou, Maïman, à qui elle fut confiée pour son éducation. Son abattis proche d'Apatou devint le bourg d'aujourd'hui. Toujours des histoires de famille. En fait au départ c'est pour chercher un restaurant marqué sur notre guide mais aujourd'hui c'est Pâques et il est fermé. On trouvera quelque chose en revenant sur St Laurent.
Cette journée prend bientôt fin et maintenant retour sur St Laurent pour récupérer notre chambre d'hôtel à l'Amazonia et surtout chercher quelque chose à grignoter. A partir de demain, vous découvrirez avec nous la grande ville de l'Ouest avec notamment son bagne et son fleuve.
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