Lors de notre sortie au zoo, nous avons emprunté le sentier du bagne des Annamites pour rejoindre une crique et profiter d'un peu de fraîcheur. Sur le parcours nous avons traversé les vestiges d'un ancien bagne qui fait l'objet de travaux de restauration. Cheminer au milieu de ces vieilles pierres et lire l'ensemble des panneaux d'informations prend une bonne heure. C'est ce que nous avons fait et en voici un résumé.
Extrait :
"Dans les années 1920, l'empire colonial français s'étend sur tous les continents. En Indochine, la contestation politique se durcit. Le parti nationaliste vietnamien, créé en 1927, est à l'origine de nombreuses émeutes. Dans la province du Tonkin, à Yen Bay, dans la nuit du 9 au 10 février 1930, des activistes s'emparent des armes de la garnison et tuent plusieurs militaires de l'armée coloniale. Une répression sanglante s'ensuit faisant des milliers de victimes. De nombreux Indochinois sont alors envoyés au pénitencier de Poulo Condor, île située à 200 km au large de Saïgon. Le gouverneur de l'Indochine, craignant un soulèvement, souhaite se débarrasser des prisonniers politiques au plus vite
Pendant ce temps à plus de 21 000 km de là, le pouvoir métropolitain décide de soustraire la partie de la Guyane qui contient l'or, le bois de rose et le balata à l'agitation politique qui règne dans la colonie. Il crée, le 6 juin 1930, un territoire autonome où le gouverneur disposerait d'une liberté d'action dans l'exploitation des ressources naturelles. Appelé "Inini", il s'étend sur près de 80 000 km2, réduisant la Guyane à une mince frange côtière.
Le gouvernement d'Indochine veut désengorger les prisons et éloigner les activistes. Celui de Guyane a besoin de main-d'oeuvre pour développer et peupler l'Inini...la voie à la déportation est ouverte pour près de 1 500 hommes. L'Indochine s'acquittera de leurs frais de transport et d'entretien le temps de leur peine".
Le sentier est très accessible et nous arrivons dans les ruines en une trentaine de minutes. Elles sont éparpillées mais de nombreux panneaux nous orientent facilement. Le premier nous intrigue, il nous montre la direction du quartier des sénégalais situé sur la colline la plus élevée. Mais que peuvent-ils bien faire dans cette histoire ?
Extrait :
"En 1928, à la suite des émeutes provoquées par la mort de Jean Galmot (député de Guyane en 1919), un détachement de 150 tirailleurs est envoyé en Guyane à la requête du gouverneur. En garnison à la caserne Loubère à Cayenne, ils sont envoyés par roulement dans chacun des établissements pénitentiaires spéciaux...à Crique-Anguille, leur rôle est identique à celui des surveillants militaires pénitentiaires : ils surveillent les prisonniers et veillent à l'exécution des travaux".
En arrivant au sommet de la pente nous apercevons les restes de ce qui constituait la cuisine. Il y a aussi des logements, un réfectoire et des latrines. Sur tout le site ces dernières sont omniprésentes sûrement grâce à leur construction robuste en pierre mais aussi parce que l'hygiène était, et est toujours, un sujet de la première importance lorsque l'on est en "manœuvre".
Nous poursuivons notre visite et passons ensuite par la partie Commandement et Administration située également sur un point haut.
Toujours des latrines mais aussi ce curieux baquet qui n'est rien d'autre que la baignoire du commandant du camp.
Quelques constructions en dur apparaissent aussi, il s'agit de fours, et il faut noter les inscriptions gravées sur certaines briques. Elles sont estampillées A.P. pour Administration Pénitentiaire. Attention à ne pas en prendre, elles sont protégées et leur prélèvement est parfaitement illégal. Nous n'en verrons pas mais il en existe aussi frappées des lettres L.M.K, initiales de l'industriel Léonce Melkior.
Nous sommes bientôt au terme de cette visite d'un autre temps et elle ne serait pas complète sans passer par la prison. Ce corps de bâtiment est actuellement en réfection mais nous pouvons approcher sans danger et ressentir les conditions de détention extrêmes subies par les déportés, entre chaleur étouffante et humidité permanente.
Extrait :
"Le bâtiment disciplinaire, la prison dans la prison, est construit pour isoler les condamnés ayant commis une faute. En 1933, le bâtiment compte 24 cellules construites en deux phases. En 1934, lors de la fermeture du camp de la Forestière situé près du Maroni, les condamnés sont transférés à Crique-Anguille et huit cellules sont ajoutées. Les blocs cellulaires, séparés par un couloir, sont en béton. Les cellules d'une surface au sol de 2m2 permettent tout jute la mise en place d'une planche escamotable qui sert de lit. Des tronçons de rails de chemin de fer sont fixés au-dessus des cellules en guise de barreaux".
Avant de vous quitter un dernier extrait un peu technique relatif au rail de chemin de fer de type Decauville que nous avons rencontré lors de notre randonnée. En effet pour amener tous les matériels nécessaires le plus "facile" était la mise en place d'un rail qui partait de Port-Inini sur la crique Anguille jusqu'au camp de prisonniers.
Extrait :
"La voie Decauville est un type de voie ferrée de faible écartement (de 40 à 60 centimètres). Elle est formée d'éléments métalliques, rails et traverses, démontables et transportables. La voie est aménagée le long de la piste plane et droite qui relie le camp au débarcadère. De part et d'autre de la voie, la forêt est déboisée sur 50m offrant un passage à une ligne téléphonique achevée en 1936.
La voie ferrée franchit des cours d'eau au moyen de ponts et ponceaux maçonnés et busés, tels le pont du "Mouton Engagé" ou celui du "Mouton-Paresseux". Elle aboutit au milieu des trois quartiers où se trouvent le magasin général et un abri pour les roulottes".
Et voilà fin de la visite du bagne des Annamites de la crique-Anguille, l'un des trois centres spéciaux de Guyane avec celui de Saut-Tigre à Petit Saut (voir l'article Petit Saut) et de la Forestière à Apatou sur le Maroni que nous explorerons un jour prochain.