D'une longueur de 612 km, le Maroni prend sa source dans le massif du Mitaraka et sert de frontière avec le Surinam jusqu'à son embouchure commune avec le fleuve Mana. C'est une voie de communication essentielle vers les communes de l'intérieur et la pirogue reste le principal moyen de transport mais attention aux 90 sauts qui jalonnent son cours.
Point de saut pour nous aujourd'hui mais une balade en pirogue pour voir St Laurent du fleuve, accéder à l'île aux lépreux et à 2 villages amérindiens côté surinamais et revenir en passant devant Albina, ville située juste en face St Laurent, lieu de nombreux échanges commerciaux.
Nous avons rendez-vous à l'office du tourisme pour y rejoindre notre pilote pour la matinée et ne vous fiez pas aux photos (certaines ont été prises la veille) il pleut des cordes au moment d'embarquer, heureusement que nous avons nos parapluies. Comme vous le verrez dès le début il y a de très nombreuses épaves échouées sur les rives. Elles sont condamnées à pourrir sur place.
Certaines ont une histoire et celle que vous apercevez derrière Béatrice est particulière. Ce n'est pas une île, il s'agit bien d'un navire échoué.
Cette épave recouverte désormais de végétation est un ancien navire marchand britannique appelé l'Edith Cavell et échoué en 1924.
Petit aparté, Edith Cavell est née en 1865 en Angleterre et elle fut fusillée par les allemands en 1915 en Belgique. Infirmière pendant la Première Guerre mondiale, elle a permis l'évasion de centaines de soldats alliés de la Belgique alors sous occupation allemande. Malgré une très forte pression internationale elle fut jugée en cours martiale et condamnée pour haute trahison.
Revenons à notre épave. Construit en 1898 en Angleterre, le vapeur mesure une centaine de mètres. Il est racheté en 1915 par une filiale anglaise de la Société Générale des Transports Maritimes de Marseille ce qui fait le lien avec son échouage en Guyane car désormais il servira au transport de marchandises entre la France et les Antilles. Fin 2024, il quitte Cayenne pour St Laurent et c'est en essayant d'apponter au quai de l'administration pénitentiaire qu'il s'échoue sur un rocher. L'eau envahit la salle des machines et malgré tous les efforts entrepris pendant près d'un mois il finira par se briser en deux le 30 décembre 1924.
100 ans plus tard c'est devenu une île !
Nous reprenons le cours du fleuve vers l'aval et apercevons Albina au Surinam juste en face sous de lourds nuages.
Côté St Laurent, petit aperçu sur ce qui fut le lieu de déchargement des bagnards qui arrivaient 2 fois par an et avec à droite la petite construction blanche pour la pesée des vivres car cet endroit était aussi le quai d'appontage pour tous les autres navires.
Piles de l'ancien ponton sous la pluie !
Encore une épave !
Vous avez remarqué cette immense structure métallique sous la verdure ? Il s'agit de l'ancienne gare de St Laurent. Et oui, il y a eu une gare ici mais pas pour n'importe quel voyageur. Au temps du bagne, elle abritait une série de quatre voies dites Decauville avec une largeur de 60 cm qui permettaient de relier soit St Jean du Maroni à 17 km soit les différents camps forestiers. Si trois petites locomotives furent mises en service, beaucoup de déplacements se faisaient en "pousse", à savoir qu'un chariot comportant des sièges pour passager était simplement poussé par des bagnards à l'aide de longues perches. En dehors des convois exceptionnels pour le transport des condamnés, des trains réguliers étaient mis à la disposition des familles de surveillants chaque dimanche et le lundi une rame était réservée aux relégués de St Jean qui allaient vendre leur production sur le marché de St Laurent.
Vers l'aval la ville fait vite la place à des habitations plus sommaires construites au raz du fleuve. Quant on sait qu'il peut monter rapidement de 3 à 5 mètre en cas de fortes pluies...
Cette fois nous remontons le fleuve et nous allons passer devant la partie active de St Laurent comme son petit port de pêche ou les zones de transit avec le Surinam. La pluie revient et il faut sortir le parapluie.
Le Surinam sous la pluie et le ballet des pirogues !
Vue sur le camp de la transportation !
Poursuivons la remontée du fleuve et profitons des couleurs. On est loin des berges de la Seine au cœur de Paris.
Passage devant le bac international "La Gabrielle" qui relie St Laurent à Albina.
Quittons la rive et rejoignons le centre du fleuve. Quelques minutes de navigation et une île se dresse devant nous, la pirogue s'en approche et bientôt nous y prenons pied. Bienvenu sur l'île aux lépreux. Pas besoin de beaucoup d'imagination pour comprendre son usage au temps de la transportation. Les conditions sanitaires étaient bien évidemment déplorables aussi cette île servit à éloigner les malades du bagne en les isolant au milieu du fleuve et les vivres leur étaient simplement jetés sur les berges, pas question d'accoster !
Embarquez ! Notre guide nous ramène à la pirogue et nous filons vers la côte surinamaise que nous longeons pendant une vingtaine de minutes avant de débarquer pour rendre visite à un village amérindien. A priori peu de différence entre les 2 rives. En pratique la frontière est une limite internationale qui a peu de sens pour la population locale. Bien avant cette notion les peuples du fleuve vivaient de part et d'autre de cette voie de navigation et formaient une famille unique. Tous les villages le long du Maroni sont bâtis sur le même modèle et la pirogue est le trait d'union entre les 2 pays.
La première visite est surprenante car il n'y a personne, oui, personne pour nous accueillir. Le guide nous fait quand même le tour du propriétaire et cela nous permettra néanmoins d'avoir un premier aperçu du mode de vie local.
Quelques articles de vannerie seront les objets spécifiques que nous aurons pu apercevoir et notamment ces fameuses "couleuvres" qui servent à presser le manioc. Il faut savoir que le manioc, dont on mange la racine, est la base de l'alimentation des communautés amérindiennes, bushinenguées et créoles comme elle l'était en Afrique au Gabon par exemple. Cependant gare à sa préparation car cette racine contient un produit toxique, le cyanure. Bon pas de panique il faut juste suivre la recette avec précision. Ici on broie la racine et ensuite on remplit la couleuvre que l'on accroche par la boucle à une poutre puis on insère une grande perche dans l'autre boucle située à la base et il suffit d'appuyer dessus comme un levier pour étirer la couleuvre et créer une forte pression sur le manioc, l'expurgeant ainsi de son jus toxique. Facile !
Article de vannerie pour filtrer la farine !
Avant de quitter ce premier village, un arbre attire mon attention et je redécouvre le Roucou. La première fois c'était au camp caïman. Grâce à la cire extraite de la graine, on fait un onguent qui pourra protéger des coups de soleil, des piqures d'insectes et qui sera utilisé pour des peintures corporelles. Attention le rouge est très vif !
On continue la remontée du Maroni et sa valse de pirogues de pêche ou de transport.
On approche du 2° village et cette fois nous aurons un peu de compagnie cependant rien à voir avec l'exubérance africaine. On s'avance au milieu des habitats, quelques chiens aboient mais cela n'amène aucune réaction et il y a bien quelques enfants qui nous regardent cependant ils retournent bruyamment à leur jeu. La pluie est aussi présente ce qui explique peut-être le calme ressenti.
Le fleuve est indispensable à la vie locale, on s'y lave ainsi que la vaisselle et on y fait la lessive.
Retour de la lessive !
Et enfin on va découvrir l'autre activité indispensable à la vie d'un village amazonien, la confection des galettes de cassave sur une grande platine chauffée au feu de bois. Vous prenez la farine de manioc appelée couac en Guyane et récupérée après le passage par la couleuvre, vous la disposez dans une forme en métal pour lui donner son aspect arrondi et vous cuisez à feu doux jusqu'à l'obtention de la galette cuite des 2 côtés. Petite dégustation à l'issue, cela tient au corps ! Voilà qui clôture agréablement cette visite effectuée dans un calme quasi absolu.
Retour désormais sur St Laurent sous un ciel menaçant en longeant la côte surinamaise jusqu'à Albina. Peu de différence avec la côte française avec le même type d'habitat en bois où la présence d'épaves.
A l'approche d'Albina on sent immédiatement la "puissance" commerciale de ce petit bout de terre guyano-hollandaise. Station-service, supermarchés, boutiques, bars, dancing, je comprends mieux maintenant le va-et-vient des pirogues avec plus de 1000 passages jours en "haute-saison". Ainsi avec des prix défiant toute concurrence les produits surinamais inondent tranquillement St Laurent et bien au-delà de l'Ouest guyanais.
Nous arrivons maintenant au terme de notre balade fluviale et nous nous mêlons au trafic pour traverser le fleuve le plus directement possible vers St Laurent. Et dire que la frontière est fermée, où vont donc toutes ces pirogues ?
En dix minutes, on atteint la rive française et déjà apparaissent les bâtiments du camp de la transportation dont nous parlerons demain après leur visite et notre dernier jour dans l'Ouest guyanais.
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