A l'occasion de la journée du patrimoine nous avons découvert le musée Alexandre-Franconie à Cayenne. Inauguré en 1901 sous le nom de musée local créé le 18 septembre 1901 par décision du Gouverneur Émile Merwart (1869-1960), le musée est installé dans la demeure des Franconie, grande famille de négociants, non loin de l'hôtel de ville et quasiment en face du bar des palmistes.
Le musée regroupe des collections dans les domaines de l'histoire naturelle (faune, flore de Guyane), de l'archéologie, de l'ethnologie et de l'histoire locale. L'accumulation des objets dans les salles lui donne un caractère de cabinet de curiosités mais ce sera pour la 2° partie. Aujourd'hui je vais vous montrer la très belle exposition de tableaux du peintre "bagnard" Francis Lagrange, dit Flag.
C’est depuis l’île de Ré, située au large de La Rochelle, que les bagnards sont regroupés avant leur départ vers les bagnes de Guyane. Durant ce dernier séjour en France métropolitaine, les condamnés sont « nourris pour le voyage » et vaccinés contre la typhoïde et la variole. Le 17 février 1931, Lagrange embarque sur La Martinière, direction Saint-Jean-du-Maroni. Il va passer de bagne en bagne et s'adonne aux croquis et dessins.
Libéré de la transportation en juillet 1942, Lagrange peut quitter les îles mais pas la Guyane. Il redevient un relégué, avec une obligation de résidence à perpétuité sur le territoire pénitentiaire du Maroni.
Les bagnes de Guyane sont progressivement fermés à partir de 1944 et les survivants des privations de la Seconde Guerre mondiale, très souvent amnistiés, sont rapatriés par l’Armée du Salut de 1946 à 1953. Lagrange va faire le choix, avec quelques centaines d’autres anciens bagnards, de rester en Guyane et c'est à partir de cette période qu'il peint ses tableaux les plus célèbres, des scènes de la vie du bagne.
La scène ci-dessous s'intitule "halage des grumes à la bricole". Nous sommes dans le langage marine pour une appellation de halage à col d'homme. Cette technique était utilisée le long des canaux pour tirer les péniches. Les mariniers s'équipaient alors de "las" ou de "bricoles" attachées à la corde de halage. Ici c'est pour tirer des troncs d'arbres.
Encore un terme de marine pour la peinture suivante. Il s'agit de la manille, une pièce en acier forgé constituée d'un étrier, dont la forme peut être variable. Elle sert à relier, généralement de manière provisoire, un cordage ou une chaîne mais ici il s'agit de bloquer les pieds du bagnard.
Le camp Godebert était un chantier forestier et un camp disciplinaire situé entre Saint-Laurent-du-Maroni et Charvein, réservé aux "INCOS", aux « incorrigibles ». Il fut en service de 1909 à 1938.
Petit rappel sur les catégories de bagnards. Le "déporté" politique bien sûr pour se "débarrasser" du mal-pensant. Puis arrivèrent les "transportés", des condamnés aux travaux forcés pour une durée de cinq ans minimum et astreints de plus au doublage, à leur libération, ils devaient passer dans la colonie un temps au moins équivalent à celui de leur peine ; si celle-ci était égale ou supérieure à huit ans, l'assignation à résidence en Guyane était définitive. Et enfin, comme ci-dessous, les relégués qui étaient condamnés pour multi-récidivisme. Surnommés « pieds de biche » ils sont la dernière catégorie du bagne. En pouvant effectuer des travaux moins contraignants le relégué endosse un stigmate qui le poursuit durant toute sa trajectoire au bagne. Dans l’argot du bagne, le pied de biche signifie mendiant. Rien à ajouter !
La guillotine était présente sur place en Guyane.
Alors pourquoi ne pas tenter l'évasion...