Poursuivons notre découverte des Teko et des Wayäpi, peuples amérindiens de Guyane.
En matière d'habitat, auparavant plusieurs critères guidaient le choix d'emplacement d'un village : présence de roches plates pour l'accostage des canots et la baignade, relief surélevé par rapport au niveau du fleuve pour éviter les inondations, proximité de terres cultivables mais aussi de lieux de chasse et de pêche, beauté du site.
L'habitat traditionnel, adapté à l'environnement et au mode de vie des populations, était autrefois composé de carbets couverts de feuilles de palmier tressées, dépourvus de parois.
Dans les années 1980, le bourg de Camopi, établi sur une colline, s'est substitué à l'ancien village wayäpi remplaçant les carbets par des logements en bois et en dur, cloisonnés et recouverts de tôles ondulées ou de bardeaux.
Le bourg a vu sa population se concentrer suite à l'implantation d'infrastructures et de services comme l'eau potable et l'électricité contrairement aux villages à l'écart qui restent sous équipés. Inutile d'ajouter que la desserte téléphonique n'est pas de bonne qualité. La gestion des déchets est dorénavant l'enjeu majeur.
Il faut attendre 1954 pour qu'une école soit créée à Camopi et encore ne relevant pas de l'Education nationale qui par ailleurs soutient du bout des lèvres les expérimentations liées au maintien des langues maternelles. 1998, c'était hier, l'Education nationale admet la prise en compte de ce mode d'apprentissage en plus du français mais en maternelle.
Dans le 1° degré, les élèves de l'intérieur fréquentent des écoles de leurs villages ou de villages voisins. Un ramassage scolaire est assuré en pirogue. Pour le second degré il faut obligatoirement aller à Camopi, Saint-Georges ou Maripasoula. Les enfants des villages éloignés n'ont pas d'autre choix que d'être hébergés sur place et pour le lycée il faut carrément rejoindre les villes du littoral.
Cet éloignement des villages est difficile à vivre par les enfants pris en charges par des familles hébergentes ou en institution. Les problèmes sont affectifs, culturels et sociaux avec une conséquence importante sur la pertes des savoirs et savoirs faire traditionnels car la transmission est rompue, les jeunes étant coupés trop longtemps de leur environnement d'origine. Sans compter le mal-être qui peut découler des différences de conditions de vie avec les villages.
La vie s'installe au village et désormais il faut aussi penser à se sustenter. Avant la chasse ou la pêche un peu d'agriculture. Dans ce domaine la répartition des tâches se fait par sexe et la première opération est réservée aux hommes. Il faut préparer l'espace cultivé appelé abattis, et pour cela il faut défricher, abattre et brûler les arbres.
Ensuite les femmes prennent le relai pour la plantation, le sarclage, la culture et la récolte avec parfois la participation des enfants.
Ce type d'agriculture est itinérant car on utilise la parcelle pour un cycle ou deux de récoltes et autrefois cela justifiait aussi le déplacement fréquent des villages. Aujourd'hui avec la sédentarisation ce procédé est toujours utilisé mais c'est encore une pratique ancestrale qui va finir par disparaître.
La culture du manioc amer prédomine, les produits transformés de ce tubercule constituant l'aliment de base des Wayäpi et des Teko. D'autres plantes sont assez courantes comme la patate douce, l'igname, le maïs, la banane, la canne à sucre, le piment et l'ananas.
La nature est généreuse sous l'équateur et la collecte est une pratique essentielle à la vie du village, en plus elle se réalise tout au long de l'année. Une grande variété de produits est prélevée dans la nature pour l'alimentation : fruits, œufs de tortue d'eau douce, d'iguane et de caïman, crabes, larves de charançon des palmiers et de guêpes, miel et bien d'autres choses.
Le miel est une denrée exceptionnelle pour les Wayäpi. Pour eux c'est un "cachiri sauvage", la bière des esprits qui peuplent la forêt. Sa collecte est exclusivement faite par les hommes et la bière produite par les femmes ne pourra jamais l'égaler.
Autre collecte dont on a déjà parlé, celle des fourmis pour les applications cérémonielles.
Pour tout cela il faut aussi des contenants. Différentes hottes et poches provisoires sont tressées par les hommes à partir de feuilles de palmier wasaï. A la fin de leur usage, elles ne peuvent être abandonnées en forêt sans être détruites sous peine de voir le vannier perdre sa dextérité et son savoir.
Les produits de la collecte vont constituer une part appréciable dans l'équilibre alimentaire et favoriser la diversité dans les repas.
Autres moyens importants de subsistances alimentaires, la chasse et la pêche. Certaines techniques de pêche sont liées aux saisons. La nivrée et l'épervier se pratiquent en saison sèche. Le fléchage des poissons intervient occasionnellement, lors des pêches collectives à la nivrée encore réalisées à Trois-saut. La nivrée consiste en un "empoisonnement" de l'eau à partir de la sève ichtyotoxique (=toxique pour les poissons) d'une liane qui provoquera l'asphyxie des poissons. Ramenées sur le lieu de pêche, les lianes y sont écrasées et défibrées. On les place ensuite dans un katuri (sac de palmes tressées) que l'on plonge dans l'eau en amont du lieu de pêche choisi, une zone d'eau avec peu de courant, et en une dizaine de minutes les premiers poissons remontent à la surface. Si l'action de la toxine peut durer plusieurs heures, elle est rapidement diluée par le courant, par la température et la lumière.
Quant à la pêche à l'épervier, ne cherchez pas un oiseau ! Il s'agit en fait d'un large filet en forme de cône avec sa base lourdement lestée de plombs. Toute la difficulté réside dans la capacité à déployer rapidement le filet en un cercle parfait, le geste est très technique mais aussi très esthétique.
En saison des pluies c'est plutôt à la ligne mais aussi avec des nasses et des pièges en vannerie bien sûr.
Pour la chasse, qui est exclusivement masculine, les traditionnels arcs et flèches ont fait place au fusil depuis bien longtemps.
Mais tous ces bons produits, il faut bien les transformer et les conserver. Le mode de cuisson le plus répandu des viandes ou des poissons consiste à les faire mijoter longtemps dans du jus de manioc agrémenté de piments. Le boucanage, aussi très apprécié, est surtout un efficace moyen de conservation.
Le manioc tient une place essentielle ainsi que la vannerie qui lui est associée. La presse, la "couleuvre", est une vannerie tubulaire d'une seule pièce utilisée pour extraire le jus toxique contenu dans le manioc amer. La presse, remplie de pulpe de manioc râpé, est suspendue à une extrémité par une boucle. Etirée à l'autre bout par un levier en bois lesté d'un poids, son diamètre diminue, provoquant alors le pressage du contenu.
Le tamis sert à passer la pulpe de manioc sortie de la presse, une fois sèche. Selon la destination du tamis, le crible présente des mailles différentes. Celui à mailles fines sert à tamiser la farine de manioc pour faire les galettes qui accompagneront les plats de viandes ou de poissons en sauce. Avec les mailles plus larges on fera de la farine un peu plus grossière pour faire notamment le fameux couac, l'accompagnement principal des amérindiens.
Dernière utilisation du manioc et non la moindre, la fabrication de la bière appelée cachiri. c'est la boisson fermentée amérindienne la plus connue. Elle est préparée uniquement par les femmes, en moyenne sur trois jours, de la récolte du tubercule à la fin de la fermentation. Même s'il existe plusieurs préparations possibles, la base est un mélange de farine de manioc mâchée et de patates douces crues râpées riches en sucre pour accélérer la fermentation naturelle. La teneur alcoolique reste toujours faible de 1,5 à 2,5° et une grande expérience est nécessaire pour déterminer le moment où le mélange n'est plus toxique.
Pour les fêtes, le cachiri est préparé par centaines de litres et en dehors des fêtes rituelles, il est indispensable pour remercier ceux qui ont apporté leur aide à des activités collectives comme les abattages ou la construction d'un carbet. Chez les Teko, un cachiri peut aussi être organisé après un enterrement, pour remercier ceux qui ont "creusé la terre".
Le travail du coton fait partie des activités traditionnelles des femmes Wayäpi et Teko, de la cueillette au tissage. Très tôt elles apprennent à filer et tisser cette fibre pour confectionner porte-bébé, hamac, ceinture...
Le coton est planté et récolté dans les abattis et il sera mis à sécher sur une natte réalisée en palmier bien sûr. Après avoir ôté les graines, les fibres sont nettoyées, démêlées à la main et enroulées en écheveaux. C'est l'étirage et la torsion des fils à l'aide d'un fuseau qui transformera les fibres en fil.
Les fêtes et cérémonies sont des occasions privilégiées pour revêtir les tenues traditionnelles. Les pagnes masculins, souvent en cotonnade rouge du commerce, peuvent aussi être tissés en coton naturelle. Leur tenue est complétée par une ceinture en coton filé portée sous le pagne et sur celui-ci d'une large ceinture de perles très ouvragée.
Les femmes enfilent toujours, au-dessus du pagne, une jupe réalisée en fil de coton ou en fibres de palmier bâche. Portés autour du cou, en bandoulière, aux chevilles, aux bras et aux poignets, les rangs de colliers de perles de verre en provenance d'Europe sont hauts en couleur.
Les peintures corporelles font partie des ornements pratiqués par l'ensemble des amérindiens de Guyane. L'application des teintures peut être réalisée sur une partie du corps ou sur son intégralité. Les pigments utilisés sont de nature végétale, il s'agit du Roucou pour la couleur rouge et du Génipa qui donnera une couleur bleu nuit à noir.
Les représentations animales sont particulièrement évoquées. Il s'agit d'une protection contre les mauvais esprits et d'une façon de s'approprier le caractère de l'animal représenté.
Enfin quelques mots sur les arts car la musique, le chant et la danse sont intimement associés chez les tribus amérindiennes. Les instruments à vent prédominent avec des clarinettes, des flûtes de pan, des trompes traversières et des flûtes droites. Ajoutons des sonnailles en graines attachées aux chevilles ou aux mollets des danseurs et vous obtenez une belle accentuation des rythmes.
Comme souvent la référence animale n'est jamais bien loin et l'on trouve des danses du poisson, des oiseaux, de la raie et même du cochon bois. Et rien n'est laissé au hasard, les danses s'inscrivent dans une chorégraphie parfois complexe et sont réalisées dans un ordre immuable.
Nous arrivons au terme de cette initiation à la culture amérindienne que nous pourrions poursuivre encore bien longtemps tellement cette histoire est riche. Ce très joli musée vaut absolument le déplacement et il y a encore plein d'informations à y récolter.