mercredi 28 avril 2021

Le camp de la transportation à St Laurent du Maroni !

Nous ne pouvons pas quitter St Laurent du Maroni sans passer par le camp de la transportation d'autant plus que St Laurent fut d'abord une cité pénitentiaire avant de devenir la St Laurent d'aujourd'hui. Ainsi dans les années 1850, le travail de colonisation commence véritablement avec le pénitencier agricole où des concessions tenues par des condamnés produisent de la banane et de la canne à sucre. Peu de temps après sont ouverts les camps forestiers.

Rappel de quelques notions car pourquoi parle-t-on de transportation, relégation ou déportation ?

Les Transportés :

Ces condamnés étaient "transportés" en Guyane pour y accomplir la peine des travaux forcés, suite à un acte très grave (vol à main armée, meurtre, etc...). Ces forçats pouvaient être condamnés pour un temps déterminé ou à perpétuité.

Les Libérés :

Une fois sa peine achevée, le transporté devenait un libéré mais je trouve le terme inadapté vous allez savoir pourquoi. Libéré, il devait cependant rester en Guyane sous contrôle de l'administration pénitentiaire car il se voyait obligé d'y résider le même nombre d'années que sa peine si celle-ci avait été inférieure à 8 ans. Malheur pour les autres, il avait obligation de résidence en Guyane à vie. Vive le libéré !

Les Relégués :

Souvenez-vous de notre passage à St Jean du Maroni. Surnommés les "pieds de biche", ils n'avaient pas commis de faute grave mais avaient récidivé. Ils étaient occupés à des travaux forestiers et seuls les cas jugés lourds faisaient l'objet d'un enfermement pour la nuit.

Les Déportés :

Condamnés politiques pour espionnage, trahison, désertion, ils étaient divisés en 2 groupes, les déportés simples envoyés purger leur peine aux îles du Salut (Royale et St Joseph) et les déportés en enceinte fortifiée, comme le fut Dreyfus, enfermé sur l'île du Diable.

Commençons notre visite. Tout d'abord il faut savoir que c'est au camp de la transportation de St Laurent que débarquaient les bagnards venus de métropole et à partir de là ils étaient répartis entre les différents pénitenciers de Guyane.

Vue de l'extérieur.


L'arche d'entrée située au nord-est du camp était le seul accès utilisé par les bagnards. Entrons dans l'Histoire !

Dès l'entrée, on aperçoit au fond du camp les fameuses cases pour les bagnards. 2 bâtiments situés de part et d'autre de la voie centrale abritaient les structures de l'administration pénitentiaire avec des bureaux, une infirmerie, les logements des surveillants et des porte-clés, bagnards utilisés comme garde-chiourme qu'il valait mieux séparer des autres condamnés pour éviter les représailles.

Ce bâtiment bien rénové abritait la salle d'anthropométrie où les médecins étudiaient les condamnés pour essayer de déterminer un profil-type de délinquant mais aussi la cuisine et une chapelle.

Tous les bâtiments suivants appelés "cases" étaient réservés aux bagnards condamnés aux travaux forcés. Jusqu'en 1928, un bat-flanc (en bois ou pierre) servait de couche aux prisonniers jusqu'à 50 par étage. Plus tard les bagnards se sont vus attribuer un hamac chacun limitant ainsi les contacts donc les épidémies.



Les transportés étaient aussi divisés en 3 classes.
La 3°.
Réservé au nouveau bagnard fraîchement arrivé et pour au minimum 2 ans, cette classe donnait droit aux travaux les plus durs, notamment au sein des camps forestiers afin d'approvisionner la ville en bois.
La Seconde.
Cette fois il s'agissait pour les condamnés d'effectuer des travaux plus légers comme l'entretien de la ville.
Et la 1° Classe.
La plus prisée évidemment. Elle permettait aux condamnés de prétendre aux postes les plus recherchés ce qui leur assurait de meilleurs conditions de vie mais aussi des chances supplémentaires de se faire la belle. On y trouvait ainsi les garçons de famille ou des postes d'infirmier à l'hôpital.






Vestiges des latrines et des bassins

Ce début de visite est ouvert à tout le monde et maintenant nous profitons de notre guide pour pénétrer dans la partie réservée aux quartiers disciplinaires. Un tour de clé pour entrer et un tour de clé pour fermer, nous devenons des bagnards pour une trentaine de minutes !

Nous sommes déjà accueillis par 2 drôles de gardiens.


Dès l'entrée, pas de doute, on est au bagne. Le tribunal maritime spécial était une juridiction d'exception qui avait pour mission de juger les délits commis dans l'enceinte du camp. Il se réunissait tous les 2 ou 3 mois et au cours de chaque session, il statuait sur le cas d'une vingtaine de bagnards. Les sanctions allaient jusqu'à la peine de mort. Il a perduré jusqu'en 1946.

Entrons dans le quartier des Relégués. Il se divise en 2 parties : un bâtiment collectif pouvant recevoir jusqu'à 40 bagnards et 19 cellules individuelles réservées aux "fortes têtes".

Forte tête ?


Voici le frère jumeaux des Relégués, le quartier des Libérés. Le mur de séparation est à gauche.





Maintenant direction les blockhaus. Leur capacité officielle était de 40 bagnards mais leur nombre atteignait parfois le double. Chaque blockhaus était organisé selon la même architecture : deux bat-flanc disposés de chaque côté et sur toute la longueur de la cellule, sur lesquels étaient soudées les "barres de justice". Durant la nuit ou 22/24h selon les délits, les bagnards y étaient attachés au moyen de manilles qui leur entravaient les chevilles. Le manque d'air, de lumière et la promiscuité s'ajoutaient à ces conditions de détentions difficiles.



Vue des latrines !


Montons en gamme ! A gauche le Premier Quartier pour les bagnards en partance pour les îles du Salut et à droite le Quartier Spécial réservés aux condamnés à mort.




Nous arrivons au fond du camp où se trouvent les Deuxième, Troisième et Quatrième Quartier. Cette fois les condamnés qui en "bénéficient" sont les fortes têtes ou plutôt les très difficiles à gérer. Peut-être était-ce pour les impressionner mais on y trouvait aussi  l'emplacement de la guillotine, positionnée juste au centre sur la pelouse entre les bâtiments. Elle était montée la veille des exécutions et démontée immédiatement après. Le bourreau était un bagnard volontaire qui obtenait une prime pour chaque condamnation. Quant au condamné il recevait gracieusement un dernier repas, un verre de rhum, un litre de vin et une cigarette. Pour la petite histoire du bagne, on invitait également le bagnard a signer le registre de levée d'écrou ce qui signifiait pour une personne extérieure qu'il avait été libéré. Pas de mort au camp de la transportation.

Approchons nous du 4° quartier !


Mais qui est cette forte tête ?

Et la cerise sur le gâteau c'est la visite de la cellule de Henri Charrière, plus connu sous le pseudonyme de Papillon. Enfin il semble...



Il est temps maintenant de revenir au présent et notre guide nous ouvre la porte vers la liberté. Ce fut une très belle visite et nous la recommandons vivement. 


En voiture pour rejoindre Cayenne après un intéressant séjour dans l'Ouest guyanais qu'il faut absolument voir avant de quitter la Guyane et pour les plus sportifs il ne faut pas manquer la randonnée des chutes Voltaires sur trois jours qui permet une immersion profonde en forêt mais c'est une autre histoire (voir articles en Septembre 2019).


dimanche 25 avril 2021

Balade sur le fleuve Maroni

D'une longueur de 612 km, le Maroni prend sa source dans le massif du Mitaraka et sert de frontière avec le Surinam  jusqu'à son embouchure commune avec le fleuve Mana. C'est une voie de communication essentielle vers les communes de l'intérieur et la pirogue reste le principal moyen de transport mais attention aux 90 sauts qui jalonnent son cours.

Point de saut pour nous aujourd'hui mais une balade en pirogue pour voir St Laurent du fleuve, accéder à l'île aux lépreux et à 2 villages amérindiens côté surinamais et revenir en passant devant Albina, ville située juste en face St Laurent, lieu de nombreux échanges commerciaux.

Nous avons rendez-vous à l'office du tourisme pour y rejoindre notre pilote pour la matinée et ne vous fiez pas aux photos (certaines ont été prises la veille) il pleut des cordes au moment d'embarquer, heureusement que nous avons nos parapluies. Comme vous le verrez dès le début il y a de très nombreuses épaves échouées sur les rives. Elles sont condamnées à pourrir sur place.

Certaines ont une histoire et celle que vous apercevez derrière Béatrice est particulière. Ce n'est pas une île, il s'agit bien d'un navire échoué.

Cette épave recouverte désormais de végétation est un ancien navire marchand britannique appelé l'Edith Cavell et échoué en 1924.

Petit aparté, Edith Cavell est née en 1865 en Angleterre et elle fut fusillée par les allemands en 1915 en Belgique. Infirmière pendant la Première Guerre mondiale, elle a permis l'évasion de centaines de soldats alliés de la Belgique alors sous occupation allemande. Malgré une très forte pression internationale elle fut jugée en cours martiale et condamnée pour haute trahison.

Revenons à notre épave. Construit en 1898 en Angleterre, le vapeur mesure une centaine de mètres. Il est racheté en 1915 par une filiale anglaise de la Société Générale des Transports Maritimes de Marseille ce qui fait le lien avec son échouage en Guyane car désormais il servira au transport de marchandises entre la France et les Antilles. Fin 2024, il quitte Cayenne pour St Laurent et c'est en essayant d'apponter au quai de l'administration pénitentiaire qu'il s'échoue sur un rocher. L'eau envahit la salle des machines et malgré tous les efforts entrepris pendant près d'un mois il finira par se briser en deux le 30 décembre 1924.

100 ans plus tard c'est devenu une île !

Nous reprenons le cours du fleuve vers l'aval et apercevons Albina au Surinam juste en face sous de lourds nuages.

Côté St Laurent, petit aperçu sur ce qui fut le lieu de déchargement des bagnards qui arrivaient 2 fois par an et avec à droite la petite construction blanche pour la pesée des vivres car cet endroit était aussi le quai d'appontage pour tous les autres navires.

Piles de l'ancien ponton sous la pluie !

Encore une épave !

Vous avez remarqué cette immense structure métallique sous la verdure ? Il s'agit de l'ancienne gare de St Laurent. Et oui, il y a eu une gare ici mais pas pour n'importe quel voyageur. Au temps du bagne, elle abritait une série de quatre voies dites Decauville avec une largeur de 60 cm qui permettaient de relier soit St Jean du Maroni à 17 km soit les différents camps forestiers. Si trois petites locomotives furent mises en service, beaucoup de déplacements se faisaient en "pousse", à savoir qu'un chariot comportant des sièges pour passager était simplement poussé par des bagnards à l'aide de longues perches. En dehors des convois exceptionnels pour le transport des condamnés, des trains réguliers étaient mis à la disposition des familles de surveillants chaque dimanche et le lundi une rame était réservée aux relégués de St Jean qui allaient vendre leur production sur le marché de St Laurent.

Vers l'aval la ville fait vite la place à des habitations plus sommaires construites au raz du fleuve. Quant on sait qu'il peut monter rapidement de 3 à 5 mètre en cas de fortes pluies...




Cette fois nous remontons le fleuve et nous allons passer devant la partie active de St Laurent comme son petit port de pêche ou les zones de transit avec le Surinam. La pluie revient et il faut sortir le parapluie.


Le Surinam sous la pluie et le ballet des pirogues !


Vue sur le camp de la transportation !


Poursuivons la remontée du fleuve et profitons des couleurs. On est loin des berges de la Seine au cœur de Paris.






Passage devant le bac international "La Gabrielle" qui relie St Laurent à Albina.

Quittons la rive et rejoignons le centre du fleuve. Quelques minutes de navigation et une île se dresse devant nous, la pirogue s'en approche et bientôt nous y prenons pied. Bienvenu sur l'île aux lépreux. Pas besoin de beaucoup d'imagination pour comprendre son usage au temps de la transportation. Les conditions sanitaires étaient bien évidemment déplorables aussi cette île servit à éloigner les malades du bagne en les isolant au milieu du fleuve et les vivres leur étaient simplement jetés sur les berges, pas question d'accoster ! 





Embarquez ! Notre guide nous ramène à la pirogue et nous filons vers la côte surinamaise que nous longeons pendant une vingtaine de minutes avant de débarquer pour rendre visite à un village amérindien. A priori peu de différence entre les 2 rives. En pratique la frontière est une limite internationale qui a peu de sens pour la population locale. Bien avant cette notion les peuples du fleuve vivaient de part et d'autre de cette voie de navigation et formaient une famille unique. Tous les villages le long du Maroni sont bâtis sur le même modèle et la pirogue est le trait d'union entre les 2 pays.








La première visite est surprenante car il n'y a personne, oui, personne pour nous accueillir. Le guide nous fait quand même le tour du propriétaire et cela nous permettra néanmoins d'avoir un premier aperçu du mode de vie local.


Quelques articles de vannerie seront les objets spécifiques que nous aurons pu apercevoir et notamment ces fameuses "couleuvres" qui servent à presser le manioc. Il faut savoir que le manioc, dont on mange la racine, est la base de l'alimentation des communautés amérindiennes, bushinenguées et créoles comme elle l'était en Afrique au Gabon par exemple. Cependant gare à sa préparation car cette racine contient un produit toxique, le cyanure. Bon pas de panique il faut juste suivre la recette avec précision. Ici on broie la racine et ensuite on remplit la couleuvre que l'on accroche par la boucle à une poutre puis on insère une grande perche dans l'autre boucle située à la base et il suffit d'appuyer dessus comme un levier pour étirer la couleuvre et créer une forte pression sur le manioc, l'expurgeant ainsi de son jus toxique. Facile !


Article de vannerie pour filtrer la farine !



Avant de quitter ce premier village, un arbre attire mon attention et je redécouvre le Roucou. La première fois c'était au camp caïman. Grâce à la cire extraite de la graine, on fait un onguent qui pourra protéger des coups de soleil, des piqures d'insectes et qui sera utilisé pour des peintures corporelles. Attention le rouge est très vif !

On continue la remontée du Maroni et sa valse de pirogues de pêche ou de transport.





On approche du 2° village et cette fois nous aurons un peu de compagnie cependant rien à voir avec l'exubérance africaine. On s'avance au milieu des habitats, quelques chiens aboient mais cela n'amène aucune réaction et il y a bien quelques enfants qui nous regardent cependant ils retournent bruyamment à leur jeu. La pluie est aussi présente ce qui explique peut-être le calme ressenti.

Le fleuve est indispensable à la vie locale, on s'y lave ainsi que la vaisselle et on y fait la lessive.






Retour de la lessive !




Et enfin on va découvrir l'autre activité indispensable à la vie d'un village amazonien, la confection des galettes de cassave sur une grande platine chauffée au feu de bois. Vous prenez la farine de manioc appelée couac en Guyane et récupérée après le passage par la couleuvre, vous la disposez dans une forme en métal pour lui donner son aspect arrondi et vous cuisez à feu doux jusqu'à l'obtention de la galette cuite des 2 côtés. Petite dégustation à l'issue, cela tient au corps ! Voilà qui clôture agréablement cette visite effectuée dans un calme quasi absolu.


Retour désormais sur St Laurent sous un ciel menaçant en longeant la côte surinamaise jusqu'à Albina. Peu de différence avec la côte française avec le même type d'habitat en bois où la présence d'épaves.



A l'approche d'Albina on sent immédiatement la "puissance" commerciale de ce petit bout de terre guyano-hollandaise. Station-service, supermarchés, boutiques, bars, dancing, je comprends mieux maintenant le va-et-vient des pirogues avec plus de 1000 passages jours en "haute-saison". Ainsi avec des prix défiant toute concurrence les produits surinamais inondent tranquillement St Laurent et bien au-delà de l'Ouest guyanais.




Nous arrivons maintenant au terme de notre balade fluviale et nous nous mêlons au trafic pour traverser le fleuve le plus directement possible vers St Laurent. Et dire que la frontière est fermée, où vont donc toutes ces pirogues ?


En dix minutes, on atteint la rive française et déjà apparaissent les bâtiments du camp de la transportation dont nous parlerons demain après leur visite et notre dernier jour dans l'Ouest guyanais.