Nous ne pouvons pas quitter St Laurent du Maroni sans passer par le camp de la transportation d'autant plus que St Laurent fut d'abord une cité pénitentiaire avant de devenir la St Laurent d'aujourd'hui. Ainsi dans les années 1850, le travail de colonisation commence véritablement avec le pénitencier agricole où des concessions tenues par des condamnés produisent de la banane et de la canne à sucre. Peu de temps après sont ouverts les camps forestiers.
Rappel de quelques notions car pourquoi parle-t-on de transportation, relégation ou déportation ?
Les Transportés :
Ces condamnés étaient "transportés" en Guyane pour y accomplir la peine des travaux forcés, suite à un acte très grave (vol à main armée, meurtre, etc...). Ces forçats pouvaient être condamnés pour un temps déterminé ou à perpétuité.
Les Libérés :
Une fois sa peine achevée, le transporté devenait un libéré mais je trouve le terme inadapté vous allez savoir pourquoi. Libéré, il devait cependant rester en Guyane sous contrôle de l'administration pénitentiaire car il se voyait obligé d'y résider le même nombre d'années que sa peine si celle-ci avait été inférieure à 8 ans. Malheur pour les autres, il avait obligation de résidence en Guyane à vie. Vive le libéré !
Les Relégués :
Souvenez-vous de notre passage à St Jean du Maroni. Surnommés les "pieds de biche", ils n'avaient pas commis de faute grave mais avaient récidivé. Ils étaient occupés à des travaux forestiers et seuls les cas jugés lourds faisaient l'objet d'un enfermement pour la nuit.
Les Déportés :
Condamnés politiques pour espionnage, trahison, désertion, ils étaient divisés en 2 groupes, les déportés simples envoyés purger leur peine aux îles du Salut (Royale et St Joseph) et les déportés en enceinte fortifiée, comme le fut Dreyfus, enfermé sur l'île du Diable.
Commençons notre visite. Tout d'abord il faut savoir que c'est au camp de la transportation de St Laurent que débarquaient les bagnards venus de métropole et à partir de là ils étaient répartis entre les différents pénitenciers de Guyane.
Vue de l'extérieur.
L'arche d'entrée située au nord-est du camp était le seul accès utilisé par les bagnards. Entrons dans l'Histoire !
Dès l'entrée, on aperçoit au fond du camp les fameuses cases pour les bagnards. 2 bâtiments situés de part et d'autre de la voie centrale abritaient les structures de l'administration pénitentiaire avec des bureaux, une infirmerie, les logements des surveillants et des porte-clés, bagnards utilisés comme garde-chiourme qu'il valait mieux séparer des autres condamnés pour éviter les représailles.
Ce bâtiment bien rénové abritait la salle d'anthropométrie où les médecins étudiaient les condamnés pour essayer de déterminer un profil-type de délinquant mais aussi la cuisine et une chapelle.
Tous les bâtiments suivants appelés "cases" étaient réservés aux bagnards condamnés aux travaux forcés. Jusqu'en 1928, un bat-flanc (en bois ou pierre) servait de couche aux prisonniers jusqu'à 50 par étage. Plus tard les bagnards se sont vus attribuer un hamac chacun limitant ainsi les contacts donc les épidémies.
Les transportés étaient aussi divisés en 3 classes.
La 3°.
Réservé au nouveau bagnard fraîchement arrivé et pour au minimum 2 ans, cette classe donnait droit aux travaux les plus durs, notamment au sein des camps forestiers afin d'approvisionner la ville en bois.
La Seconde.
Cette fois il s'agissait pour les condamnés d'effectuer des travaux plus légers comme l'entretien de la ville.
Et la 1° Classe.
La plus prisée évidemment. Elle permettait aux condamnés de prétendre aux postes les plus recherchés ce qui leur assurait de meilleurs conditions de vie mais aussi des chances supplémentaires de se faire la belle. On y trouvait ainsi les garçons de famille ou des postes d'infirmier à l'hôpital.
Vestiges des latrines et des bassins
Ce début de visite est ouvert à tout le monde et maintenant nous profitons de notre guide pour pénétrer dans la partie réservée aux quartiers disciplinaires. Un tour de clé pour entrer et un tour de clé pour fermer, nous devenons des bagnards pour une trentaine de minutes !
Nous sommes déjà accueillis par 2 drôles de gardiens.
Dès l'entrée, pas de doute, on est au bagne. Le tribunal maritime spécial était une juridiction d'exception qui avait pour mission de juger les délits commis dans l'enceinte du camp. Il se réunissait tous les 2 ou 3 mois et au cours de chaque session, il statuait sur le cas d'une vingtaine de bagnards. Les sanctions allaient jusqu'à la peine de mort. Il a perduré jusqu'en 1946.
Entrons dans le quartier des Relégués. Il se divise en 2 parties : un bâtiment collectif pouvant recevoir jusqu'à 40 bagnards et 19 cellules individuelles réservées aux "fortes têtes".
Forte tête ?
Voici le frère jumeaux des Relégués, le quartier des Libérés. Le mur de séparation est à gauche.
Maintenant direction les blockhaus. Leur capacité officielle était de 40 bagnards mais leur nombre atteignait parfois le double. Chaque blockhaus était organisé selon la même architecture : deux bat-flanc disposés de chaque côté et sur toute la longueur de la cellule, sur lesquels étaient soudées les "barres de justice". Durant la nuit ou 22/24h selon les délits, les bagnards y étaient attachés au moyen de manilles qui leur entravaient les chevilles. Le manque d'air, de lumière et la promiscuité s'ajoutaient à ces conditions de détentions difficiles.
Vue des latrines !
Montons en gamme ! A gauche le Premier Quartier pour les bagnards en partance pour les îles du Salut et à droite le Quartier Spécial réservés aux condamnés à mort.
Nous arrivons au fond du camp où se trouvent les Deuxième, Troisième et Quatrième Quartier. Cette fois les condamnés qui en "bénéficient" sont les fortes têtes ou plutôt les très difficiles à gérer. Peut-être était-ce pour les impressionner mais on y trouvait aussi l'emplacement de la guillotine, positionnée juste au centre sur la pelouse entre les bâtiments. Elle était montée la veille des exécutions et démontée immédiatement après. Le bourreau était un bagnard volontaire qui obtenait une prime pour chaque condamnation. Quant au condamné il recevait gracieusement un dernier repas, un verre de rhum, un litre de vin et une cigarette. Pour la petite histoire du bagne, on invitait également le bagnard a signer le registre de levée d'écrou ce qui signifiait pour une personne extérieure qu'il avait été libéré. Pas de mort au camp de la transportation.
Approchons nous du 4° quartier !
Mais qui est cette forte tête ?
Et la cerise sur le gâteau c'est la visite de la cellule de Henri Charrière, plus connu sous le pseudonyme de Papillon. Enfin il semble...
Il est temps maintenant de revenir au présent et notre guide nous ouvre la porte vers la liberté. Ce fut une très belle visite et nous la recommandons vivement.
En voiture pour rejoindre Cayenne après un intéressant séjour dans l'Ouest guyanais qu'il faut absolument voir avant de quitter la Guyane et pour les plus sportifs il ne faut pas manquer la randonnée des chutes Voltaires sur trois jours qui permet une immersion profonde en forêt mais c'est une autre histoire (voir articles en Septembre 2019).