dimanche 27 décembre 2020

Au 54, rue Madame Payé

On ne vient pas en Guyane pour son activité culturelle cependant il existe à Cayenne quelques petites pépites qu'il faut absolument découvrir. Après le musée Franconie et ses curiosités, nous nous sommes rendus au 54 de la rue Madame Payé. Là se trouve une superbe maison créole qui a été totalement rénovée et qui sert de lieu pour à la fois présenter ce style d'habitat et proposer des expositions temporaires. 


Construite sur 2 niveaux, cette bâtisse comprend des petites pièces bien aérées sans fenêtre. N'oubliez pas que nous sommes dans une zone géographique très pluvieuse aussi au rez de chaussée de la maison, on trouve du carrelage, le plancher étant réservé à l’étage.

Observez bien la photo ci-dessous. Au dessus de chaque accès au balcon extérieur des caillebotis pour permettre la ventilation et de jolies petites portes agrémentées de jalousies, ces petites lamelles orientables qui permettent de protéger son intimité et voir sans être vu.



Mais qui est donc cette madame Payet ? Je vous livre "in extenso" l'information reçue le jour de la visite.
" Affranchie par son maître François de la Motte Aigron, Suzanne AMOMBA épouse, le 29 juin 1704, le soldat Jean Paillé, maître maçon tailleur de pierre. Le couple, qui n'aura pas d'enfants, est recensé dès 1709 comme propriétaires de l'habitation Le Courbary à Macouria. L'exploitation prospère et compte 67 esclaves en 1737, ce qui la place parmi les 20 plus importantes de la colonie.
Au décès de son mari, en 1739, Suzanne est l'unique héritière de cette fortune, de part son contrat de mariage. Ne sachant ni lire ni écrire, elle doit se défendre contre les abus d'administrateurs coloniaux. c'est à qui s'appropriera son patrimoine ou obtiendra qu'il revienne au domaine public. Ainsi après une véritable tentative de spoliation, ses testaments successifs en faveur de son entourage sont rendus sans effet, ses projets de remariage empêchés, et on tente de la faire déclarer "imbécile" par la justice. Le 30 avril 1748, de guerre lasse, après neuf ans de combats judiciaires, elle se résout à faire une donation de tous ses biens "aux enfants de l'un et l'autre sexes de la colonie pour leur éducation". Elle décède le 27 janvier 1755 et est inhumée dans l'ancienne église Saint-Sauveur de Cayenne, privilège réservé normalement aux Blancs notables de la colonie.

Des historiens affirment que sa donation a servi à la construction du premier collège de Cayenne. C'est donc suivant une certaine logique qu'en 1898, la rue du collège devient Madame PAYE. Le conseil municipal de Cayenne, souhaitait ainsi honorer la mémoire de la généreuse donatrice".



Revenons à la maison. Une petite dépendance située dans la cour intérieure abrite la cuisine et la salle de bain. La cuisine est équipée d'un magnifique foyer en maçonnerie appelé "potager". La cuisson des aliments se faisait au charbon et une réserve de bois était aménagé dans l'espace en arc de cercle visible juste en dessous. Le plan de travail dans le prolongement du foyer permettait la préparation des repas et le dépôt des marmites chaudes.

Petit garde-manger pour les condiments des marinades et la cuisson des aliments.

Cette salle de bain ou "chambre à bain" comprenait un grand bassin en maçonnerie servant de réservoir d'eau, et parfois des baquets destinés à la lessive. On y entreposait aussi des seaux en zinc, achetés dans le commerce ou fabriqués artisanalement à l'aide de grandes boîtes de conserve.

Il faut se rappeler qu'en 1860, Cayenne n'avait toujours pas d'eau potable. En 1867 des conduites d'eau sont réalisées à partir des lacs du Rorota et des fontaines publiques sont même alimentées grâce au réservoir construit au sommet du Fort Cépérou. Dans la première moitié du XXe siècle, l'eau était distribuée deux heures par jour et par quartier. Ceci explique la présence de réservoirs dans les maisons pour conserver l'eau.

Les cours intérieures possédaient généralement un puit comme celui ci-dessous. Pour y garder l'eau claire, il était de tradition d'y mettre des "coulants", drôle de nom pour des poissons des savanes se nourrissant essentiellement de larves.


Vue du balcon




La visite se poursuit tranquillement et nous repartons satisfaits d'avoir découvert ce petit bijou de maison créole.



 



jeudi 24 décembre 2020

Le sentier Molokoï - 2° jour

Vendredi. Réveil vers 6h30 après une nuit correcte parmi les sons de la forêt. Nous prenons notre temps car aujourd'hui théoriquement nous avons 7 km à parcourir, théoriquement. Un bon petit-déjeuner à base de céréale et de café plus tard, le sac est remis sur le dos et nous prenons la direction de Cacao. Nos voisins se sont levés peu de temps après nous et nous reverrons l'un des 2 groupes ultérieurement.

Et c'est parti ! Nous quittons la zone des carbets en franchissant immédiatement la crique afin d'avoir les pieds tout de suite au frais et on attaque pendant trente minutes sans discontinuer une pente particulièrement raide et pleine de pièges glissants. Heureusement que j'ai les mains libres pour m'accrocher à la moindre racine disponible.



Nous voilà parvenus au sommet de cette première bosse impressionnante et nous ne savons pas encore que c'est la plus difficile donc on reste prudent et on ne s'enflamme pas ! Le sentier est agréable à parcourir et on profite pleinement de ce qui nous entoure. Dommage que la faune ne soit pas au rendez-vous mais on se rattrape avec la végétation qui est toujours aussi surprenante et dont on ne se lasse pas.

Palétuvier Montagne !

Goyavier au tronc si rouge !


Le parcours joue les montagnes russes mais la pente est moins raide et sur cette 2° partie il y a de nombreuses criques peu profondes à traverser. Les chablis sont toujours aussi présents et je pense que c'est la cause d'un kilométrage plus important que celui annoncé. Parfois nous faisons vraiment de grands détours avant de retrouver la piste originelle.


Attention aux épines !




Le premier animal vient enfin de surgir devant nous, enfin de bondir devant nous. On a failli l'écraser, vous la voyez la grenouille ?

Sinon encore une curiosité de ce sentier, ce beau Grignon franc qui porte avec élégance cette écharpe naturelle juste incroyable !

Le monde du tout petit continue à se montrer telle cette espèce de ver non identifié ou encore cette autre grenouille feuille.



Encore une crique, encore des montagnes russes mais la civilisation approche surtout lorsque l'on arrive à une cabine téléphonique en pleine forêt. Bon d'accord c'est juste pour nous indiquer qu'il y a du réseau car il n'y en a quasiment pas sur l'ensemble du parcours. Original !



Un magnifique dendrobate fait aussi son apparition !


Un dernier effort et nous atteignons une piste en latérite que nous suivons pendant 10 min avant d'apercevoir les premières maisons du village de Cacao, le bout du chemin ! Et quel chemin.


Nous sortons du sentier Molokoï après 3 h 30 d'effort dont 3 h de marche et 300 m de dénivelée positif pour 400 de négatif. Le GPS indique 8 km. C'est une superbe aventure que nous conseillons à tous de faire mais attention à quand même se préparer un peu car le parcours est exigeant.

Nous marchons encore 15 min pour rejoindre le gîte où nous attend notre véhicule pour le retour sur Cayenne non sans avoir pris le temps d'un agréable repas à l'auberge du Dépanneur.

Encore un très bon moment de passé en Guyane ! 

Le sentier Molokoï - 1° jour

Depuis notre arrivée en Guyane nous avons emprunté de nombreux sentiers mais il nous en reste un à accrocher à notre tableau de chasse et pas des moindres, le sentier Molokoï. Avec ses 18 km, en théorie, et ses 700 m de dénivelée, il ne paraît vraiment pas "impressionnant" mais c'est sans compter le climat local.
Le sentier va nous permettre de découvrir la forêt tropicale à travers une longue marche allant de la RN2 jusqu'au bourg de Cacao. Nous serons en totale immersion dans le patrimoine naturel régional avec notamment le passage de très belles criques préservées.

Comme ce sentier offre aussi, à mi-parcours, un espace de bivouac pour passer la nuit qui permet de faire une halte au milieu de cette randonnée sportive, nous prenons donc l'option sur 2 jours.


Ce circuit se fait en aller-simple, aussi faut-il mettre en place toute une logistique pour assurer la partie transport et récupération ou alors on passe par un prestataire comme Quimbe Kio. Situé à Cacao et proche du sentier, c'est un gîte qui offre le vivre et le couvert et en plus le guide qui tient ce carbet nous dépose le matin au début du sentier au départ de la RN2 proche de l'auberge des orpailleurs. 


Nous arrivons donc le mercredi en fin de journée pour profiter d'un bon repas chaud et passer une première nuit en hamac. Situé sur les hauteurs de Cacao, le gîte nous permet d'avoir une belle vue aérienne et à la nuit tombée nous allons partager un très bon moment et le souper avec nos hôtes.



Jeudi matin. Cette première nuit en hamac nous a mis dans l'ambiance et après un bon petit-déjeuner avec du pain grillé nous embarquons à bord d'une camionnette et rejoignons le point de départ de notre randonnée au bord de la RN2. Comme nous partons pour 2 jours, je dois emporter tout le nécessaire et j'ai sur le dos toute notre maison soit 25 kg. Quand je pense qu'il paraît que pour être confortable un sac ne doit pas dépasser 10% du poids de celui qui le porte soit 7,5 kg pour moi. C'est sur, je vais le sentir passer mais pour l'instant je n'y songe pas encore et de toute façon l'excitation du moment l'emporte largement sur cette triste pensée.



Le début du sentier longe des exploitations agricoles et le paysage est plus bucolique que tropical à cet instant. Nous progressons tranquillement pendant une trentaine de minutes avant d'atteindre la forêt et les premières montées sont apparues.



Carbet Molokoï. Cette fois pas de doute, nous sommes dans la bonne direction et maintenant l'immersion tropicale est totale et nous n'en sortirons plus avant le village de Cacao. Pour se mettre dans l'ambiance rien ne vaut un bon chablis puis un passage de crique. Nous ne le savons pas encore mais cette première crique est la plus profonde du parcours entier. Laurent qui nous accompagne passe dedans et se retrouve avec de l'eau à la ceinture du pantalon, avec Béa on prend l'option tronc d'arbre mais je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure solution. Avec cette humidité permanente, cette poutre naturelle est une vraie savonnette mais heureusement elle est suffisamment large pour pouvoir assurer la pose des pieds. N'empêche qu'avec le poids du sac je me rends bien compte qu'il va falloir être patient et prendre son temps.




Le parcours du combattant ne fait que commencer et à regarder Béa on a même l'impression qu'elle survole les obstacles. Je suis un peu moins aérien. Le passage suivant est particulièrement humide et de drôles de racines en forme de boucle se dressent devant nous comme autant de pièges. Il s'agit de pneumatophores. C'est une excroissance spécialisée des racines de certains arbres des milieux humides qui se dresse à la verticale au-dessus des sols et des eaux, avec sa structure aux tissus spongieux elle peut transmettre l'oxygène au reste des racines. Encore un miracle de la nature !





La progression reprend plus sereinement même s'il faut toujours faire preuve de vigilance car le sol est souvent couvert de racines. Mais profitons de tout ce qui nous entoure et à l'allure à laquelle nous avançons l'observation est aisée. 




Je n'imagine même pas la taille de la bouteille que l'on peut ouvrir avec ce tire-bouchon !


Encore un chablis à franchir ce qui me permet paradoxalement de me reposer un peu car je peux alors soulager mes épaules en posant le sac sur le tronc. Mais ne le répéter pas !



Nous sommes à peu près à mi-parcours et avons atteint la partie sommitale de cette première journée lorsque nous tombons sur l'une des plus remarquables curiosités de ce sentier. Un ébène rose absolument gigantesque et surtout présentant la particularité d'être creux avec un accès pour les plus courageux. Juste incroyable ! Aujourd'hui pas de monstres mais une petite araignée et apparemment une chauve-souris !




Le sentier commence à redescendre mais la marche n'est pas plus aisée. Racines, boue, latérite glissante, autant d'obstacles à franchir pendant encore 2 bonnes heures. Le dernier kilomètre longe une crique et nous passons en mode gymkhana, Je monte, je redescends, je passe dans l'eau, je re-monte, je re-redescends, le sentier n'en finit pas et nous passons devant le panneau 12 km. Oups ! Normalement il est indiqué un parcours de 11 km pour cette première partie. Sommes nous allés trop loin ?





Cela fait bientôt 6 heures que nous avons quitté la RN2 lorsque nous apercevons les carbets qui marquent la fin de notre première étape. Déposer le sac et vite à l'eau pour un rafraichissement bien mérité avant un autre rafraichissement qui sera aussi le bienvenu ! L'environnement est très agréable. Il se compose de 2 carbets "couchage" pouvant accueillir 16 hamacs et d'un carbet "cuisine" avec 2 tables et un barbecue abrité. Nous prenons nos aises en installant nos hamacs et après une bonne remise en condition, nous rejoignons la "salle à manger" pour préparer notre soirée.

Du bois sec, une allumette et de la patience, il ne faut rien de plus pour allumer un feu qui aura pour objectif de nous mettre dans l'ambiance car en vérité nous avons tout ce qu'il faut pour s'en passer, mais une petite flambée est bien agréable pour la vue, chasser les moustiques et accessoirement réchauffer une boîte de ration.

Diner aux chandelles au cœur de l'Amazonie, que du bonheur !

Nous préparons tranquillement notre repas lorsqu'un groupe de 4 personnes arrive depuis le sentier en provenance de la RN2. Il s'installe dans le 2° carbet et commence aussi ses préparatifs pour la nuit qui devrait tomber dans moins d'une heure. Leur petit carbet dispose de son propre foyer aussi reste-t-il à l'écart. 15 min plus tard c'est trois jeunes femmes qui débouchent à leur tour du même sentier ! Mince alors, heureusement que nous sommes en milieu de semaine. Nous devons alors déménager nos hamacs car nous avons pris vraiment trop nos aises. Peu importe l'essentiel est de mettre tout le monde à l'abri du carbet et de ne pas avoir à s'installer en pleine forêt sous nos bâches (que j'avais quand même emportées au cas ou... qu'est-ce qu'il pèse "le cas ou".

La soirée va se poursuivre dans le calme et nous rejoignons rapidement nos hamacs pour une nuit que nous espérons la meilleure possible car demain il nous faut repartir de bonne heure et remettre le sac sur le dos.

Pour ce premier jour, nous aurons passé 6 heures sur le sentier, marché environ 4 h 30 et franchi un dénivelée positif de près de 500 m pour 400 m de descente. Les guides indiquent 11 km pour cette première partie et mon Gps me donne 12,9 km. J'ai tendance à lui faire confiance surtout que nous avons vu un panneau 12 km, vous vous souvenez ?

Allez, au dodo et à demain !